Une balade dans la capitale [Sankar]

Sankar sortait d'une interminable nuit d'entrainement: elle avait courru, sauté, grimpé, tapé et s'était battue comme une chatte sauvage. Quand la journée avait commencé à six heures et fini à huit heure le lendemain, elle avait l'habitude d'aller s'achever avec une bière. Baillant et titubant sur les toits, elle avait fini par se laisser glisser le long d'une gouttière comme on descend de cheval après un lointain voyage.
Sankar fit les quelques mètres qui la séparait de son auberge préférée. Elle s'arrêta brusquement au millieu de la terrasse. Un jeune garçon était en train de manger tranquillement. Il ne ressemblait pas à un des orphelins sans abris qui erraient dans les rues. Ceux-là ne mangeaient pas dans des auberges.
L'apprentie marchombre ne put s'empêcher de le dévisager, puis décida d'aller s'assoir avec lui. Sans demander l'autorisation, elle alla se laisser tomber sur la chaise en face de lui et lui accorda un de ses rares sourires en lui tendant la main au dessus de la table.

Sans cesser de tendre la main, elle commanda une bière à la serveuse qui passait.

La bière de Sankar arriva. Elle en siffla la moitié et paya la serveuse. Le bonhomme en face d'elle ne devait pas avoir plus de douze ans et une bouille d'ange. La jeune fille se laissa aller sur sa chaise et croisa les jambes, puis s'éclaircit la gorge pour poser la question qui lui brulait la langue.

Sankar s'était corrigée au dernier moment. A son age, elle n'aurait pas aimé qu'on lui dise "petite fille". Elle reprit une gorgée dans sa choppe.

Sankar hésita devant la question fatidique: "Que fait-tu dans cette magnifique ville?". Son activité professionelle n'était pas de celles qu'on annonce à la cantonade. Ce n'était pas par honte, mais plutôt par discretion. Certe, elle avait livré sans hésitation toute son histoire à Krishnen, mais ce soir-là elle était plus où moins saoul. Pour dissiper ses doutes, elle avala encore une gorgée de bière et s'avança sur la table.

Le mot marchombre n'évoquait rien pour la plupart des gens, ou alors une vague image de voleurs super-puissant et super-dangereux. La fatigue lui retombait violamment sur les épaules. Sankar passa la main dans ses cheveux en baillant et s'appuya sur la table, la tête dans les mains.

C'était ce Sankar pouvait répondre de mieux sans s'enfoncer. Elle fixa Alex dans les yeux en éspérant qu'il éviterait de poser plus de questions. Pourquoi diable était-t-elle incapable de tenir sa langue une fois dans sa vie? N'aurait-t-elle pas pu répondre qu'elle était serveuse ou vendeuse?
La réponse éclaira son esprit: cela aurait été se renier. Elle bailla à nouveau.

Sankar éclata de rire à sa propre boutade et engloutit la dernière bouchée de paté, puis l'arrosa avec ce qui restait de sa boisson. Elle sourit à Alex puis s'endormit aussi sec sur la table.

Sankar ronflait ouvertement. Elle sentit soudain quelqu'un passer deux grosses mains sur son corps. Quand ces dernières se refermèrent sur ses seins, elle réagit en se redressant comme un diable qui sort de sa boite, écrasant le nez de l'importun contre son crâne. Avec un rugissement de rage, l'apprentie marchombre se leva, reversant table et chaises, semant les reliefs du repas sur le sol. Son pied vins cueillir le tripoteur qui commencait à se lever, le nez en sang, sous le menton et l'allongea assommé.

Sankar ramassa la première chose qui lui passait sous la main, c'est à dire la choppe d'un de ses voisins de table et la jeta au visage d'un autre sale type. La coupe éclata en petits morceaux dont la majeure partie restèrent plantés dans le visage du détrousseur.
Elle se tourna vers Alex. Apparament, il allait bien: même pas plus de peur que de mal, puisqu'il ne semblait pas effrayé le moins du monde.

Sankar coupa le souffle de l'homme au visage plein de bris de verre d'un coup de coude puissant. Le dernier voleur vraiment valide prit la fuite. L'apprentie-marchombre était déjà pleine d'un sentiment de satifaction semblable à celui de quelqu'un qui viens de négocier un exellent cheval avec brio, quand une phrase coupa son contentement aussi nettement qu'un hachoir coupe un gigot:

Sankar pivota très lentement sur ses talons, prise d'une affreuse angoisse. Alex avait un couteau sous la gorge. Elle respira à fond et tenta de ne pas paniquer.

L'apprentie-marchombre tenta d'analyser la situation avec calme, comme l'aurait fait Jilano à sa place. Mais savoir qu'au moindre faux pas, Alex se retrouvait avec deux jugulaires en moins et plus de sang à l'exterieur qu'à l'interieur faillit faire sauter sa raison. Soudain, lentement, une pièce d'armure apparu sur la gorge du petit garçon. Un fin sourire apparu sur le visage de Sankar.

Elle s'approcha aussi vite et rapidement qu'un serpent. Elle frappa du talon de toutes ses forces sur le genou du voleur.

La pression retomba d'un coup sur les épaules de Sankar. Les jambes tremblantes, elle s'appuya sur la table la plus proche, une main sur le visage, les yeux pleins de larmes nerveuses.
L'apprentie-marchombre prit plusieures grandes respirations sanglotantes, puis une fois calmée, elle se tourna vers Alex qui avait été éjecté quand elle avait neutralisé son agresseur.
Sankar se tourna lentement vers lui.

Le patron de la taverne débarqua en criant de rage. Il se calma sitôt que Sankar sortit sa bourse.

Sankar paya le tavernier pour les dégats qu'elle avait causé, puis paya une choppe au marchand dont elle avait brisé la précédente.

Sankar redressa la table et se rassit à son tour. Elle adressa un sourire à Alex.

Peur était un euphémisme par rapport à ce qu'elle avait ressentit. L'apprentie marchombre frissonna tout en se forçant à garder le sourire.